Quelques propos musicologiques

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« L’interprétation de la musique ancienne demande avant tout une connaissance du contexte musical et social de chaque œuvre et un sérieux effort pour recréer ce que le compositeur s’attendait à entendre. Cette base musicologique est irremplaçable. Pour transmettre une telle œuvre au XXIème siècle, il faut également faire ressortir sa nature universelle afin que chaque auditeur, chacun avec sa propre sensibilité culturelle, se sente concerné. Dans la musique vocale, cette ’interprétation’ commence avec le texte et avec sa relation à la musique, relation qui a considérablement évolué entre 1450 et 1750. Le succès ou l’échec d’une interprétation, en concert ou en studio d’enregistrement, dépend de la relation entre les mots et les notes et de la façon dont le chanteur la rend accessible et compréhensible à l’auditeur d’aujourd’hui. Et c’est à ce moment là que naît l’émotion. »

Dès l’origine j’ai choisi, pour des raisons musicologiques, de faire interpréter la musique vocale sacrée des 16ème et 17ème siècles par un ensemble de chanteurs solistes. Un choix de pionnier car il est maintenant accepté par une majorité d’historiens que les cantates et les Passions de J.S.Bach, par exemple, qui représentent en quelque sorte le summum de ce répertoire, furent écrites pour un groupe de ce type. Ainsi, les interprètes modernes ont appris à se placer dans le contexte historique de la création baroque, en prenant comme point de départ les pratiques coutumières des compositeurs eux-mêmes, plutôt que de remonter le temps à partir des habitudes prises par la suite, ce qui fut le cas général jusqu’à récemment.

Les avantages musicaux de ce choix sont particulièrement évidents dans la musique en contrepoint, car chaque partie se distingue tant par la couleur vocale que par la tessiture, et la personnalité même du chanteur rentre en jeu. C’est d’autant plus le cas dans la musique baroque du début du 17ème siècle, où l’individu prime sur le collectif. La recherche de l’équilibre entre cet « individu » et le « collectif » qui l’entoure est l’aspect le plus passionnant du travail de l’Ensemble. Il s’agit de réaliser une véritable œuvre sociale et collective – une « société en miniature » – dans laquelle l’esprit de la musique, son « écriture », prime au-dessus tout.

La société dans laquelle nous vivons est celle de l’Europe : un groupement d’états-nations, chacun avec sa propre histoire, mais qui se rassemblent pour le plus grand bien lorsqu’il s’agit de moments cruciaux. L’objectif final de l’Ensemble William Byrd est de montrer que les forces qui unissent ces pays sont beaucoup plus grandes que celles qui les divisent. Au 17ème siècle, cette impulsion fédératrice provient de l’Italie, la source de toute la création musicale du Baroque. A des degrés différents, elle influence la musique de tous ses voisins – même (ou peut-être surtout) les plus lointains. Ainsi, au tournant des 16ème et 17ème siècles, le roi polonais fit venir en vingt ans plus de cent musiciens italiens à sa cour. Pendant ces deux siècles, l’Angleterre fut envahie de violistes, violonistes et chanteurs italiens. Au début du 18ème siècle, le roi portugais João V créa sa Chapelle royale à l’image du Vatican ; il envoyait ses jeunes compositeurs à Rome pour y poursuivre leurs études, il fit venir des maîtres italiens tels Domenico Scarlatti, et interdit même la forme ibérique la plus typique, le villancico, dans les cérémonies de la cour. A noter également que les plus grands compositeurs français du 17ème siècle, Lully et Charpentier, furent italiens, que ce soit par naissance ou par adoption.

La raison d’être de l’Ensemble William Byrd est d’explorer ce répertoire, en mettant en relief les différences, en soulignant les similarités : les programmes comprennent donc des musiques venant de toute l’Europe. On retrouve parmi nos programmes récents des œuvres de la période du roi du Portugal le plus italien, ainsi que de la collection de Gustav Düben, maître de chapelle de la Cour de Suède (et organiste de l’Eglise allemande de Stockholm). Dans sa volonté de tout comprendre et de tout posséder, Düben fit venir des partitions non seulement des pays baltes voisins et d’Allemagne, mais également d’Italie (de nombreux unica de Carissimi), de France et d’Angleterre. L’Ensemble a également ressuscité pour la première fois en France des œuvres polonaises du 17ème siècle, dont les origines italiennes sont aussi immédiatement reconnaissables que la tournure bien polonaise de leurs formules mélodiques et rythmiques.

Cela dit, l’Ensemble n’oublie pas ses racines dans la musique anglaise des 16ème et 17ème siècles. La période fut particulièrement riche en bouleversements politiques et sociaux : dissolution des monastères par Henry VIII, Age d’or d’Elizabeth I avec la musique de Thomas Tallis et William Byrd, époque de Shakespeare, guerre civile des années 1630, restauration de Charles II en 1660 avec l’extraordinaire explosion d’énergie créatrice qui s’ensuivit, la « Révolution glorieuse » (mais sans effusion de sang) de 1688. Nous appuyant sur mes connaissances du répertoire anglais mais aussi sur notre capacité à le replacer dans un contexte européen dominé par la musique italienne, nous explorerons les œuvres des compositeurs les plus connus, tels Tallis, Byrd et Purcell, ainsi que de leurs contemporains moins connus mais aussi importants, tels Sheppard, Taverner, Dowland, Tomkins, Blow, Locke, Eccles… L’Ensemble apportera son attention habituelle aux aspects musicologiques et organologiques – choix des instruments (nous avons été les premiers, en 1990, à enregistrer la musique sacrée de Purcell avec théorbe dans le groupe du continuo), du tempérament (l’Ensemble utilise habituellement le tempérament mésotonique quand il est indiqué par les sources et le contexte), du diapason (plus bas que le diapason employé généralement par les ensembles anglais), des voix (« hautes-contre à la française » plutôt qu’ »alti à l’italienne ») – ainsi qu’à la prononciation et à la prosodie de l’anglais de l’époque, un aspect sue lequel l’Ensemble se penche sérieusement). Le premier fruit de ce retour aux sources est notre disque « Thomas Tallis’s Secret Garden » (Passacaille) et nous poursuivons avec notre nouvelle version de Dido and Aeneas, chef-d’œuvre de Henry Purcell, en 2014.

Graham O’Reilly

 

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