Qui était Didon? « Dido and Aeneas » de Purcell – Chapitre 1

Dans moins d’un mois, venez nous écouter et admirer notre version costumée avec mise-en-espace de « Dido and Aeneas » de Purcell.

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Pour vous faire patienter un peu, voici un article écrit par Graham O’Reilly, notre Directeur Artistique sur les origines du personnage de Didon.

Qui était Didon ?

À l’époque classique, la région méditerranéenne regorgeait de femmes trompées. Ariane fut abandonnée par Thésée et Médée par Jason, alors que Phèdre, sœur d’Ariane et épouse de Thésée, fut détruite par (son attraction au)  sa passion pour le fils de ce dernier, Hippolyte. Les guerres de Troie ont inspiré maintes histoires : Circé, Iphigénie, Electre, Cassandre et bien sûr Hélène ont toutes souffert de ces guerres. La plupart d’entre elles descendent directement ou indirectement des dieux, et beaucoup ont des pouvoirs magiques… en plus de leurs pouvoirs féminins incontestables. Les Romains, eux, ne manquaient pas d’histoires de femmes trompées (Lucrèce, violée par Tarquin) et, plus tard, les conteurs chrétiens ont poursuivi, avec, notamment, la désertion d’Armida par Rinaldo et la mise en valeur du sacrifice par Jephté de sa fille pour garantir la victoire, une autre version du sacrifice d’Iphigénie par Agamemnon avant de s’embarquer pour Troie.

Didon, séduite et abandonnée par un rescapé de Troie, trouve bien sa place aux côtés de ses sœurs de malheur, à tel point que son histoire prête souvent à confusion. Comme d’habitude, les dieux s’y mêlent, à la fois parce qu’il s’agit de la famille (Énée serait le fils de Vénus, déesse de l’amour) et parce qu’ils sont instigateurs de l’action. Les « faits », si l’on peut les appeler ainsi, sont exposés dans l’Énéide de Virgile, écrite à la demande du premier Empereur de Rome, Auguste, vers 30 avant J.-C. Dans le Livre I Virgile nous raconte les origines de Didon. De son vrai nom Elyssa, elle est Phénicienne, sœur du roi de Tyr, Pygmalion, qui a assassiné son mari Sychée pour son supposé trésor. Elyssa s’échappe et après un long voyage arrive sur le lieu qui est aujourd’hui Tunis, où elle fonde le royaume de Carthage. Les habitants la surnomment Didon, ce qui signifiait peut-être “l’errante” dans leur langue à eux.

Énée aussi était un errant. Une tempête (provoquée par Junon, la protectrice de Didon, épouse du dieu en chef Jupiter) l’amène sur la côte de Carthage. Didon accueille Énée et ses hommes avec largesse, et écoute avidement son témoignage du sac de Troie, sujet des Livres II et III de l’Énéide. Dès le Livre IV, elle est tombée sous son charme et se laisse séduire. Jupiter l’apprend, et envoie Mercure, son messager de service, pour rappeler sa vraie mission à Énée – « obligé par le destin » à fonder une nouvelle Troie à Rome. Énée part et Didon, pleine de remords d’avoir rompu son vœu de chasteté envers son premier mari, et furieuse de s’être laissé duper, se tue.

D’un point de vue historique, toute cette histoire est impossible, car les dates de la chute de Troie et de la fondation de Carthage ne coïncident pas. Ils se sont peut-être trompés de 60 ou jusqu’à 600 ans, selon l’autorité (dans) en laquelle vous placez votre confiance. Que cherchaient-ils à prouver, Virgile et Auguste ? Les deux mots d’ordre sont : d’abord, Carthage, et ensuite, Cléopâtre.

-          Rome avait vaincu et entièrement détruit Carthage, son ennemi de toujours, en 146 avant J.-C., et à l’époque de l’Énéide (30 à 20 avant J.-C.) elle était occupée à la rebâtir comme colonie. Auguste était prêt à rehausser légèrement sa réputation, pour vaincre la malédiction qui pesait sur elle et encourager les colons à s’y installer.

-          Cléopâtre avait séduit un autre héros romain, Marc Antoine, et avait fait de lui un ennemi de Rome. Augustus avait fini par le vaincre à Actium en 31 avant J.-C. et avait commissionné l’Énéide immédiatement. L’histoire de Didon est donc un avertissement aux tentatrices de l’Afrique du Nord qui pourraient distraire les héros romains de leur devoir. Énée avait résisté, mais Marc Antoine, lui, n’a pas pu.

On peut se demander si Auguste était tout à fait satisfait du résultat, car le livre représente Didon en héroïne et Énée en lâche. Le Livre IV a gardé sa popularité tout au long des siècles suivants, alors que le reste de l’œuvre est tombé presque dans l’oubli. A l’époque de Purcell, vers la fin du XVIIe siècle à Londres, tout homme dans l’assistance ayant un minimum de bonne éducation a étudié l’œuvre sur les bancs du lycée, et même les femmes qui regardaient, bien que soigneusement privées d’une éducation classique, pouvaient le lire en traduction : le Livre IV avait été traduit cinq fois depuis les 50 ans qui précédaient, et Dryden allait ajouter la sienne avant la fin du siècle.

Ce qu’ils en ont pensé, et ce que Purcell et son librettiste Nahum Tate auraient pu penser, vous le saurez dans notre prochain épisode la semaine prochaine.

G O’R

Lire le Chapitre 2 : Didon en Angleterre

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